Ce texte est la partie 2 de la micro-fiction « Lettre à Zélie ».
Retrouve la partie 1 -> Lettre à Zélie – Vendredi 9h40
« Quel abruti a pu m’envoyer ce mot » pense-t-elle en sirotant sa Pina colada.
La deuxième. Fait exceptionnel.
Chaque jour, elle s’en tient à sa rigueur toute militaire. Des restes de son éducation et de son mariage. Une Pina colada par jour, pas une de plus. Il ne s’agirait pas de passer pour l’alcoolique du coin tout de même.
Serait-ce un de ces enfants de la place qui jouent et l’abrutissent avec leurs cris de joie ? Elle en doute. On y parle d’amour dans ce mot.
Même si l’alcool joue, elle reste suffisamment lucide pour savoir qu’entre elle et les enfants, ce n’est pas ça. Bien au contraire. Déjà qu’avec les siens, ça n’a pas été un franc succès alors avec ceux des autres n’en parlons pas. Après tout, c’est d’un ennui les gosses. Des questions à n’en plus finir et tellement demandeur. Toujours à réclamer. Quelle plaie. La corvée qui vient après le plaisir.
Ah ce plaisir !
Ces caresses qui la font vibrer. À presque 80 ans, elle apprécie toujours autant les hommes et ne se refuse pas. Chignon serré peut-être, mais la cuisse beaucoup plus légère. Elle rigole doucement devant sa Pina colada presque finie. Elle ne veut pas se lever et rentrer. Pas cette fois. Pourtant, l’heure tourne. Son prochain arrêt, le snack Sucré-Salé l’attend.
Zélie aime bien prendre son déjeuner là-bas et échanger deux-trois mots avec la petite vendeuse. Léa, elle s’appelle. La pauvre ne peut pas vraiment répondre. Elle est muette, mais cela l’arrange. Pas de discussion inutile, juste le strict nécessaire.
Allez une troisième ! C’est décidé, Zélie sort de son habitude, mais rien que recevoir ce courrier a bouleversé sa journée.
Le serveur se dit qu’elle doit vraiment être perturbée la mamie Zélie aujourd’hui. Trois Pina. Elle qui s’en contente d’une d’habitude, là, elle a une sacrée descente et il n’est même pas 11 heures du matin.
Perdue dans ces pensées, Zélie ne fait pas attention au regard qu’il lui jette.
Ah les hommes ! La voilà à se rappeler ses conquêtes. Il y a en trop pour qu’elle se les rappelle tous. Certains n’ont été que des ombres dans son histoire. Des dérivatifs, des erreurs, des moments de réconfort ou de soutien quand elle en avait besoin. D’autres en revanche, l’ont transformée, transportée et lui ont tellement donné.
L’Homme. Avec un grand H. Celui qui la transportait, dont rien que le nom la faisait vibrer. Son regard sur elle, la faisait rougir de désir. Encore aujourd’hui. Serait-ce lui ?
Un nouveau regard à ce petit bout de papier :
« Ce mot pour te signaler que je t’aime. Signé : tu sais qui. »
Non, c’est peu probable, elle a entendu dire qu’il était mort. Quel dommage. C’était un bel homme et un amant exceptionnel. Ces pensées partent vers son mari. Grégoire. Il l’a aimé. Bien plus que jamais elle n’aurait pu le faire. Un homme bon, mais tellement planplan. Un manque de vitalité et un carcan d’habitude. Le pauvre, elle lui en a fait voir de toutes les couleurs. Jamais vraiment sur de ce que faisait sa femme, ni de qui elle voyait. Cinq enfants ensemble. Trois, elle en est sûre, c’est lui le père.
Les deux derniers ?
La question reste en suspens. Le pauvre homme n’a pas bronché et les a acceptés comme les siens. Certains diraient que c’était un saint. Pour elle, c’était un ennui. Elle aurait voulu qu’il réagisse. Après tout, il était de notoriété publique que sa femme prenait du bon temps avec d’autres. Mais non. Il ne bronchait pas.
Elle secoue la tête agacée. De toute façon, ça ne peut pas être lui. Il est mort et cette fois-ci, c’est garanti. Elle a géré son enterrement.
Crédit photo : Yes more content sur unsplash